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Scène 44

La voiture de Quentin n’est pas garée devant la maison. Toutes les lumières intérieures sont éteintes, seules celles de l’allée extérieure le sont. Elles s’allument automatiquement dès lors qu’un véhicule franchit le portal en contrebas.

À l’instant où j’introduis la clé dans la serrure de la porte d’entrée, une voix s’élève de l’autre côté. Une femme bégaye :

— Qui… qui est là ?

Je reconnais la mère de Quentin.

— C’est Floralie.

— Quentin m’a dit que vous pourriez passer. Il n’est pas là. Allez-vous-en.

J’essaye de tourner la clé, mais n’étant rentrée qu’à moitié, cela s’avère impossible.

— Je suis encore chez moi. Retirez votre clé, ou ouvrez-moi.

— C’est hors de question. Partez maintenant, crie-t-elle.

— Ouvrez-moi cette porte, je veux voir Swann et Mathilde.

— N’insistez pas. Et puis, de toute façon, Swann n’est pas là.

— Où est-elle ?

Des marmonnements parviennent de derrière la porte. La vieille parle seule, je n’entends que sa voix. La moutarde commence à me monter au nez. Je tambourine du poing sur le bois du cadre.

— M’ouvrirez-vous ? Et où est Swann ?

— Oh là là. J’aurais mieux fait de tenir ma langue. Quentin m’avait pourtant prévenu.

— Quentin n’est pas le juge des affaires familiales. Ce sont toujours mes filles, et j’ai le droit de savoir ce qui se passe.

— Il l’a amenée aux urgences à Manosque. Zut ! J’aurais dû me taire. Il s’énervera quand il apprendra que je vous l’ai dit.

— Aux urgences ? Que lui arrive-t-il ? Et où est Mathilde ?

— Arrêtez avec toutes vos questions, répond-elle sur un ton suppliant.

Je saisis la clenche et la secoue. J’essaye encore d’enfoncer la clé. Rien n’y fait. J’assène des coups de poing dans la porte jusqu’à ce que des bras m’encerclent. Je m’en dégage avec une certaine brutalité.

— Tout ce tintamarre ne sert à rien. Elle ne t’ouvrira pas, tu vas juste réussir à lui faire peur.

Je reconnais la voix de Stéphane.

— Je ne t’ai pas entendu. Où sont les autres ?

— Dans la voiture.

Je tambourine à nouveau sur la porte. Je crie, je hurle.

Le seul résultat est des pas qui s’éloignent. Puis, plus un mot, plus un bruit. La mère de Quentin est tout simplement partie.

— C’est fou. Je suis chez moi, ce sont mes filles, et je devrais me résoudre à rester plantée ici sans en savoir plus ?

— Est-ce du double vitrage sur toutes les fenêtres ?

D’abord surprise par sa réponse, je finis par comprendre où il veut en venir.

Je lui indique le garage dans lequel la petite porte vitrée, qui permet d’accéder à la cuisine, n’a pas été remplacée lors des travaux d’isolation réalisés avant d’aménager. En même temps, si la grande porte du garage est close, nous ne serons pas plus avancés.

Stéphane doit se rendre compte de l’état de doute dans lequel je me suis, car il me caresse l’épaule tout en me prononçant des mots apaisants.

— Dis-moi Stéphane, ça ne craint pas pour toi en tant que flic de forcer une maison ?

— Tu es chez toi, il n’y a donc pas d’effraction.

— Je suis bête.

Toute confuse, je le conduis jusqu’au garage qui, heureusement, n’a pas été verrouillé.

D’abord, il s’assure que la porte menant à la cuisine est bien fermée à clé, puis, de sa main protégée d’un chiffon trouvé dans un carton, il inflige un coup sec sur un de ses carreaux. En se brisant sur le sol, le verre fait un bruit épouvantable. La voix de la vieille nous parvient. Elle est en train de téléphoner, sans doute, à la police.

Stéphane continue comme si de rien n’était. Il engage son bras puis, tout en actionnant la clenche depuis l’intérieur, il me regarde et dit :

— Savais-tu que c’est dans les rangs des flics que les mafias font leurs meilleurs recrutements ?

— Pas de problème pour moi tant que je suis dans ton camp.

Je lui ai répondu en me forçant à sourire, car les seules choses qui m’intéressent sont de connaître l’état de Swann et serrer Mathilde contre moi. Dans mon esprit, il ne reste peu sinon aucune place pour les autres.

La mère de Quentin devrait pourtant comprendre mes inquiétudes. Je ne pense pas qu’elle ne le fasse par choix. Avec son fils devenu adulte, elle a poursuivi ce qu’elle a initié avec son mari : une obéissance aveugle de chien de garde. Mais ses canines ne me font plus peur. Il fut un temps où je l’aurais prise au sérieux. Aujourd’hui, elle m’agace. Tout simplement. Heureusement d’ailleurs, car notre arrivée fracassante l’a attirée dans la cuisine où elle est déboule en hurlant :

— Allez-vous-en tout de suite. J’ai appelé la police.

Stéphane glisse sa main dans la poche intérieure de sa veste. Les cris de la vieille redoublent. Elle se saisit d’un couteau de boucher qu’elle brandit tour à tour dans ma direction puis celle de Stéphane.

— Vous me menacez avec une arme, maintenant ?

Il sors sa carte.

— Je suis de la police, madame. Je demanderai de vous calmer. Floralie veut juste voir sa fille et savoir ce qui arrive à la seconde. C’est tout. Après vous avoir écouté, nous partirons.

— C’est vrai ? Mais que dira Quentin ?

Elle me regarde avec des petits yeux stupides. Elle semble hébétée. J’en profite pour me jeter sur elle et lui arracher le couteau. À bout de nerfs, je hurle :

— Vous n’êtes qu’une vieille emmerdeuse.

— Ne me parlez pas comme ça.

Je fais un geste incompréhensible. En l’entendant lever la voix, je me suis mise inconsciemment à agiter le couteau de façon intimidante. Stéphane s’en empare et me repousse en arrière :

— Ça suffit toutes les deux ! Asseyez-vous, madame, ordonne-t-il à la mère de Quentin en lui désignant une chaise. Quant à toi, va voir ta gamine. C’est ce que tu désirais, n’est-ce-pas ?

— Ce ne sera pas la peine de monter, le coupe ma belle-mère.

Elle pointe le menton en direction du couloir.

— Avec tout le bazar que vous faites, vous l’avez réveillée, ajoute-t-elle.

Je me retourne et découvre Mathilde, plantée dans l’obscurité. Elle est tremblante, les yeux noyés de larmes.

— Hé bien. Tu ne me reconnais plus ?

Je tends mes bras dans sa direction. Elle s’y précipite en pleurant.

— Pourquoi vous vous disputez toi et mamie ? On a fait une bêtise ?

— Non ma chérie. Parfois, les grands s’énervent sans trop savoir pourquoi.

— Vous êtes tout de même entrés par effraction, glapit la vieille.

Décidément. Tout est vain avec elle. On a l’impression de parler à une porte.

— Vous a-t-on sonné ? lui demande Stéphane, agacé à son tour.

— Hé ho, ça va. Vous êtes peut-être policier, mais ça ne vous autorise pas à m’interdire de m’exprimer.

— Comme d’habitude, grand-mère, vous causez trop souvent pour ne rien dire.

C’est la voix de Lilia. Las de nous attendre, elle et Alexandre nous ont rejoints.

— Vous êtes encore nombreux comme ça ? persifle la mère de Quentin.

— Ça suffit. J’en ai marre de vous entendre.

Lilia s’approche d’elle un tissu à la main comme pour la bâillonner. La vieille fait un bond en arrière, manquant de tomber de sa chaise. J’éclate de rire. J’adore Lilia, sa fraîcheur, son humour. Je l’aime. C’est tout. Comment ai-je pu me mentir aussi longtemps ?

— Lilia, merci, tu me fais le plus grand bien. Mais, c’est sans importance. Laisse-la baigner dans son venin, elle finira bien par en crever.

La mère de Quentin scrute mes yeux, comme si elle cherchait à lire dans mon homme. Elle se tourne vers Lilia, puis me fixe à nouveau.

— Ainsi, c’est donc vrai. Quentin m’avait prévenu. Vous êtes une sale lesbienne.

Lilia explose :

— Ce que l’on fait avec nos sexes est tout à fait normal. On les lèche, on y entre nos doigts, on y glisse nos langues. On se donne du plaisir, quoi. C’est peut-être ce qui vous a le plus manqué pour être heureuse dans la vie ?

— Lilia, pourquoi t’es méchante avec mamie ?

Les larmes de Mathilde redoublent. Lilia se met à sa hauteur et lui dit :

— Je suis désolé ma chérie. Je n’aurais pas dû m’énerver. Elle n’en vaut pas la peine.

— Alors, tu aimes ma mamie ?

— Oui, ma douceur. Autant qu’une femme comme moi peut aimer une femme comme elle.

Je ne suis pas sûre que Mathilde ait saisi ce que sous-entendait Lilia, mais cela paraît lui convenir. Elle renifle et s’essuie le nez dans la manche et lui adresse un sourire timide.

— Viens avec moi. Je vais te raconter les bêtises que ta maman faisait quand elle avait ton âge.

— Elle en faisait des grosses ?

Lilia entraîne la petite vers le salon pour que je puisse reprendre le semblant de discussion là où je l’avais laissée. Je me retourne vers la mère de Quentin.

— Vous m’en voulez de vous avoir enlevé Quentin, je vous en veux d’être à ses yeux la femme la plus importante de sa vie.

— Vous m’agressez constamment.

— Jacqueline. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de nous. Il s’agit de vos petites-filles, de mes filles. Enterrons la hache de guerre quelques instants, et expliquez-moi ce qui se passe.

Elle relève la tête et plonge son regard dans le mien. Y lit-elle de la sincérité ? Toujours est-il qu’elle parait désirer me remercier de dire enfin la vérité après toutes ces années.

— Sa toux n’a cessé d’empirer. Ce soir, lorsque le président a parlé à la télé, elle a craché du sang.

— Qu’est-ce qui nous a pris de les laisser monter à Paris ? Nous aurions dû annuler.

Je m’effondre en larmes. Jacqueline s’approche de moi et me serre dans ses bras. D’abord surprise, je reste figée quelques instants, puis je me laisse aller à pleurer dans ses bras réconfortants de mère. Entre deux hoquets, je réussis à prononcer :

— Je dois me rendre à Manosque. Je dois être à ses côtés.

— On pourrait peut-être tenter de les appeler ? suggère Stéphane.

— Le réseau est encombré, on ne parvient à joindre personne, rétorque Alexandre qui n’a pas dit un mot depuis son arrivée.

— Ça ne coûte rien d’essayer, tranche-je.