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Scène 48

En découvrant l’état de Quentin, une terreur sans nom étouffe ma colère, la mâchoire m’en tombe, mes genoux flagellent. Car ce n’est ni son visage ni ses bras qui en premier lieu attirent mon attention, mais les bleus en un nombre incroyable qui s’étalent sur sa peau.

La nausée me gagne. Je désire fuir. Dans mon dos, la présence du jeune infirmier m’en empêche. Habitué aux défaillances des visiteurs confrontés à la réalité des corps mutilés, il veut savoir si tout va bien. Je ferme les yeux et prends une profonde inspiration. Un grommellement indistinct quitte mes lèvres, l’obligeant à me poser à nouveau la question.

— C’est… c’est impressionnant, lui réponds-je d’une voix que je ne maîtrise pas.

— C’est la première fois qu’on voit ça. Avec les collègues, on se demandait même comment c’est possible.

Je me retourne, hésitant entre la surprise et l’indignation. Il s’excuse et sort de la chambre. Je me retrouve seule avec Quentin.

Il est difficilement reconnaissable. Des rides comme gravées au couteau marquent son front luisant. Sous ses paupières, les yeux ne cessent de rouler. Le masque respiratoire, qui recouvre la partie inférieure de son visage, laisse échapper des sifflements lugubres. Mais ce sont ses bleus qui constituent le pire. Les premiers surgissent au niveau du cou, pâles et clairsemés, et à partir de la poitrine, un sang violacé s’est répandu sous la quasi-totalité de l’épiderme.

Je me résous à toucher son front. Il est glacé et trempé de sueur, je frissonne de dégoût. La chaleur de son avant-bras me surprend. Seuls quelques petits bleus sur ses mains témoignent encore de l’accident. À cet endroit, sa peau est d’une agréable douceur.

Des larmes glissent sur mes joues. Bêtement, je regarde autour de moi pour m’assurer que personne ne m’observe.

Des souvenirs de nos débuts resurgissent. Je nous revois arpentant les rues main dans la main, incapables de nous séparer plus d’une heure. Nous étions deux gamins orgueilleux à l’idée d’écrire une romance unique, exceptionnelle. Je m’étais convaincue de l’aimer.

Je crois surtout qu’il était bien au-delà du seuil qu’espèrent de nombreuses femmes. Tendre, attentionné, honnête, cultivé aussi, même si cela peut paraître moins important. Au moins, avait-il toujours quelque chose à raconter.

En réalité, je n’aurais pu partager mon existence avec aucun autre. Quentin est le genre d’homme qu’on rencontre une seule fois dans sa vie, je le sais, je ne l’ai plus jamais lâché.

Au début, nous baisions beaucoup. Puis, les baisers remplacèrent les coups de reins, les caresses les langues indécentes. Allez savoir pourquoi, il s’était mis en tête de me faire l’amour. Notre couple était mort.

Pourtant, nous sommes restés ensemble, nous avons eu nos filles. Pour lui donner ma vie, à d’autres j’ai dû donner mon corps.

Ma trahison s’explique par de sombres histoires de cul. En permanence, mon con était en feu, il fallait une bonne baise pour l’éteindre. Je suis coupable, et il en paye le prix fort.

Jamais je n’ai jamais voulu attacher moins d’importance à ceux qui m’aiment qu’à ma chatte. Je suis incapable de m’opposer aux désirs qu’elle éveille en moi, sa tyrannie est implacable.

Lorsque Quentin sortira du coma, dois-je l’implorer de me pardonner, le supplier de me reprendre ? Mais je ne peux trahir Lilia à son tour. Elle aussi.