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Scène 49

Une bonne dizaine de mètres sont nécessaires avant de me rendre compte que je suis sortie de la chambre de Quentin, tel un robot guidé par un impératif qu’il ne contrôle pas. Mais ne serait-ce pas là le meilleur résumé de ma vie ? Car n’ai-je jamais vraiment pris de décisions ?

De l’endroit où je me tiens, je peux voir le visage assoupi de Swann. Elle est intubée. L’équipe qui s’affairait autour d’elle a disparu. Seule une infirmière est restée à ses côtés, annotant un cahier. Je l’interroge du regard pour savoir si je peux entrer. Elle me répond par l’affirmative.

— Vous avez une jolie petite fille.

— Vous savez que c’est ma fille ?

Elle me sourit.

— Vous vous ressemblez comme deux gouttes d’eau.

Elle se glisse hors de la chambre. Je la retiens par le bras.

— Excusez-moi ? Comment va-t-elle ? Je veux parler de sa toux.

— Si vous le souhaitez, un médecin peut passer… Si j’en trouve un disponible.

— Non, non, merci. J’en ai déjà vu un tout à l’heure. J’aimerais avoir votre avis.

— En arrivant, elle toussait beaucoup et crachait du sang. Nous l’avons intubée afin de l’aider à respirer et de faciliter l’administration de médicaments.

— Vous pensez pouvoir la guérir ?

— Elle est stable. Elle était à Paris, c’est ça ?

Elle m’adresse un regard bienveillant et me tapote le dos.

— Soyez assurée que nous faisons le maximum.

— Je peux… elle m’entend ?

— Ce n’est pas possible pour le moment. Elle est sous calmant… et intubée, comme vous pouvez le constater. Repassez demain. Elle sera en soins intensifs.

L’infirmière se retire.

Je caresse le visage, les mains de Swann. Elle est si belle.

Ma pauvre petite Swann, c’est tellement injuste. À ton âge, on se fiche de la politique ou de la religion. Cette façon aveugle de frapper n’a aucun sens. Elle ne fait qu’attiser notre haine à l’égard des terroristes, sans espoir que nous cherchions à comprendre les motifs de leur action.

À mon tour, je m’échappe. Des larmes perlent aux coins de mes yeux.

Lorsque je quitte la salle de réa, je trouve refuge dans un recoin obscur du couloir, espérant de ne pas être repérée par les autres. Une vieille dame, qui fait les cent pas, me regarde sans me voir. Elle était dans une chambre voisine, à pleurer son mari qui, probablement, ne reviendra jamais. Les yeux fous, les cheveux en bataille, elle paraît perdue, comme si elle ne trouvait pas la sortie, comme si elle niait l’issue de sa vie.

Je déploie des efforts surhumains pour ravaler mes sanglots, ne pas hurler, frapper les murs. Mes yeux brûlent, mes poumons n’acceptent plus le moindre filet d’air, mon cœur tape vite et fort dans les oreilles, couvrant les sons ambiants. Je reste ainsi, sans bouger, sans penser, cinq, dix, quinze minutes, je n’en ai aucune idée. Je lutte, je refuse de me laisser atteindre. Toutes mes ressources sont mobilisées pour faire barrage aux émotions qui guettent un instant de faiblesse pour me submerger.

Quand enfin je suis prête, je les rejoins.

— Tout ira bien.

Ce sont les seuls mots dont je suis capable avant que ma gorge ne se resserre sous la pression de l’angoisse.